Le cycle de la violence, ça s’applique à moi ?

Lorsqu’on commence à réaliser qu’on se trouve dans une relation toxique, dans un mariage abusif, quand on est victime de violences psychologiques ou physiques, on cherche à se renseigner.
On veut savoir si on est seule dans ce cas, si on est folle, ce qu’il faudrait faire… et d’ailleurs, de quoi s’agit-il  ?
En faisant des recherches, il est impossible de ne pas se retrouver nez à nez avec un dessin en forme de cercle, intitulé « le cycle de la violence ».
Le plus souvent, l’article explique comment briser le cycle de la violence conjugale.

On regarde ce schéma, on lit les titres, les explications parfois, et rapidement, on conclut :
« Oui, mais chez moi, ce n’est pas comme ça… »

Alors, on oublie.

Tout le monde ne réagit peut-être pas ainsi, mais en tout cas,
c’est comme cela que j’ai pensé, moi, il y a des années, en voyant ce schéma :
« Chez moi, c’est différent… Ça ne marche pas comme ça du tout.
Il y a juste des incidents de temps à autre. Il n’y a pas de cycle… »

Je ne reconnaissais pas ma vie dans ce dessin.
J’ai mis le temps. Et puis, finalement, tout s’est éclairci. Ça me concernait.
Comme ça concerne toutes les victimes de violence dans le couple, jusqu’à ce que le cercle soit brisé.
Par la suite, j’ai constaté à de multiples reprises que ce sinistre scénario était bien présent chez les femmes que j’accompagne pour les aider à se libérer d’une relation abusive.

Dans cet article, j’explique :

  • ce que j’ai découvert à propos du cycle de la violence,
  •  une méthode pratique pour le reconnaître dans ta vie,
  • et comment t’en servir pour identifier les failles sur lesquelles tu peux travailler pour te libérer.

Je commence par rappeler la définition du cycle de la violence,
et dans les parties suivantes, les éléments qui m’ont permis de le comprendre
qu’en fait, oui… il s’appliquait aussi à moi.

I. Qu’est-ce que le cycle de la violence ?

Ce cycle a été mis en évidence et défini par une psychologue américaine, Lenore Walker en 1988.
Il est la base du schéma qu’on trouve un peu partout sur les sites internet dédiés au soutien des victimes de violence conjugale. Les illustrations sont variées, mais le fond reste le même.

Sur le cercle sont placées les quatre phases qui se succèdent :

  • le climat de tension,
  • la crise, c’est-à-dire l’acte violent,
  • la justification (voire le retournement de la responsabilité), qui sème le doute et la culpabilité chez la victime,
  • puis « la lune de miel », qui commence par les excuses, ou des promesses, qui redonnent l’espoir de changement. Elle est désormais plus souvent définie comme une période d’accalmie.

Avec le temps, ces cycles se reproduisent.
Leur rythme et la gravité des événements violents s’intensifient.
L’emprise du prédateur sur la victime s’accentue tandis cette dernière s’épuise.
(cela est vrai, quelle que soit la forme des abus, de la violence verbale et psychologique aux violences physiques. Toutes les maltraitances conjugales suivent un schéma similaire.)

Je ne sais pas si c’est uniquement moi, mais quand j’ai vu ce schéma,
je n’arrivais absolument pas à reconnaître ce phénomène logique dans ma vie.

II. Pourquoi c’est important de le reconnaître ?

On pourrait passer sa route en disant :
« Peu m’importe les théories, moi, tout ce qui compte, c’est que je souffre, et je veux des informations pour m’en sortir ».

Un peu de la même manière qu’on n’a pas besoin de savoir que c’est parce que la Terre tourne autour du soleil pour attendre le jour après la nuit et pour organiser sa vie.

Je suis sûre que certaines victimes s’extraient de relations toxiques et se reconstruisent sans avoir jamais entendu parler du cycle de la violence.

  • Cependant, plus longue ou intense est la relation, plus la victime a tendance à rester dans l’incompréhension.
    Ce qui l’empêche de se reconstruire.
  • Si elle est encore en couple, elle continue à nourrir un espoir de changement.
  • Si elle est séparée, elle est paralysée par la peur de reproduire, à l’avenir, les mêmes scénarios, puisqu’elle ne les comprend pas.
  • Dans les deux cas, elle culpabilise.

Il est bénéfique de faire l’effort d’examiner son vécu à la lueur de cette nouvelle information,
en exploitant le schéma du cycle de la violence comme un outil.

Comprendre comment ce schéma s’est inscrit dans sa propre histoire est une réalisation qui permet de se débarrasser de la culpabilité (émotion totalement inutile, voire contre-productive) et de la réécrire en octroyant correctement les responsabilités.

En outre, ce travail peut ouvrir une fenêtre sur nous, en éclairant les craintes qui se sont activées lors de ces événements. Cela peut servir de base de travail personnel.

Je rappelle, à ce propos, que la personne responsable de toute parole, tout comportement et tout geste abusif ou violent est toujours la personne qui les prononce ou commet.

III. Le cycle de la violence dans sa propre vie :
clés de décryptage

Voici quelques éléments qui m’ont permis au fil du temps de mieux comprendre ce phénomène,
comment il se manifestait et comment identifier sa présence dans notre histoire.

1. Un schéma appris dans l’enfance

Un des éléments qui peut rendre l’observation de ce cycle difficile dans sa propre vie est
tout simplement l’absence de processus normal auquel se référer.
Il peut se révéler difficile pour les personnes qui ont vécu ce type de scénario pendant leur enfance
d’en prendre conscience, ou d’en comprendre toute la toxicité.

Je prends un exemple :

Le père de Sophie est très autoritaire.
Quand elle rentre avec des bonnes notes, il est content et il le lui montre, parce que les bons résultats scolaires, c’est très important pour lui.

Sophie est une petite fille, elle se chipote avec ses frères et sœurs, elle n’aime pas faire ses devoirs, elle ne vient pas tout de suite quand on l’appelle, ce qui énerve son père.
La tension monte.

Le jour où Sophie revient avec une note moyenne, son père est furieux.
Il crie, il fait peur, il punit sa fille.
(Il la prive de cours de danse — ce qui est important pour elle — ou il la gifle, même).

Il lui dit que c’est de sa faute à elle, que si elle n’embêtait pas ses cadets, si elle passait plus de temps sur ses devoirs et, bref, si elle faisait tout ce qu’on lui disait, elle n’aurait pas mérité sa punition.
Après cet épisode, chacun reprend « sa place », sans explication.
Bien sûr, il ne s’agit pas d’un incident unique.

Sophie essaie de plus en plus de s’appliquer à l’école, elle délaisse la danse.
Le jour où elle loupe son bac, son père lui coupe les vivres.
Et Sophie se dit qu’elle l’a bien mérité.

Je pense que cet exemple illustre bien que l’on peut grandir sans savoir que les gens qui vous « aiment » devraient être des gens qui vous encouragent, des gens qui vous soutiennent dans les difficultés et qui vous aiment sans condition, sans objectif de résultat.

On peut grandir sans savoir que les conflits peuvent être résolus par la parole, que les énervements peuvent être mis à plat dans le calme et expliqués.

On peut grandir sans savoir que les « torts » sont souvent partagés, mais pas toujours.

Sans savoir que nous faisons tous des erreurs et que nous avons le pouvoir de regretter et demander pardon.

On peut grandir sans savoir que les autres n’ont pas toujours raison.

On peut grandir sans savoir qu’être brutalisée par la parole ou les actes
est une atteinte à nos droits fondamentaux.

Quand on ne sait pas tout cela, il est difficile de voir que le cycle de la violence est autre chose que la vie normale, la seule qu’on connaisse.

2. Le facteur temps

Une autre difficulté que j’ai eue pour comprendre le cycle de la violence était due à ma perception du temps.

Dans le modèle de Lenore Walker, les quatre phases sont placées à distance égale, aux « points cardinaux » du cercle.

Cette description a créé en moi l’illusion que les phases sont de « durée » semblable et plus particulièrement, qu’elles se reproduisent à un rythme régulier.

Cette dynamique récurrente et presque régulière a tendance à devenir de plus en plus vraie
quand la violence est bien installée et que son rythme s’accélère.

Or, pour moi, comme pour de nombreuses femmes, des mois, voire des années, ont passé entre les premiers incidents.

a- Quand la violence s’installe lentement :

L’impression principale est alors qu’elle est « épisodique », « sporadique » plutôt que « cyclique ».

Ce sentiment est renforcé par la surprise qui accompagne un premier épisode (je rappelle qu’il ne s’agit pas forcément de coups. Ça peut être, par exemple, une crise de jalousie).

En effet, il faut se rappeler qu’au moment de cet événement, on est en général satisfaite de sa relation, ou même, carrément sur son petit nuage amoureux.
On ne connaît que le beau et le bon côté de son compagnon, et même si l’on a déjà découvert quelques traits de caractère particuliers, on a tout mis sur le compte de : « Nous avons tous nos défauts. Lui, il me prend comme je suis. »

L’événement violent perturbe toutes nos certitudes, et il a le potentiel de briser tous nos rêves. 

De plus, notre cerveau a horreur de se tromper.
Quand il pense quelque chose, il cherche tous les signes qui confirment ce que l’on croit déjà.
Cela s’appelle le biais de confirmation.

Nous voulons croire à notre amour, pas à cet acte d’agression.
Notre cerveau cherche tous les moyens de faire rentrer cette réalité dans le moule :
« Cet homme m’aime, je suis heureuse avec lui, nous avons un futur ».

Et donc, nous acceptons des excuses bidon, des justifications, des déclarations teintées de mauvaise foi, des réconciliations sur l’oreiller et, en prime, nous prenons la responsabilité de l’affaire.

Le temps passe.

Lors de la crise suivante, nous avons tout « oublié ». Et même si nous avons un goût désagréable de déjà vu, nous n’avons pas les clés qui nous permettraient de décrypter ce qui se passe.

b- Quand la violence s’installe vite

Pour certaines femmes, la violence se multiplie à toute allure à la suite de la première crise.

Je pense notamment aux cas de violence déclenchée par une grossesse, ou au cas de certains pervers narcissiques (champions de la répétition de microviolences insidieuses).
Dans ces cas, il peut arriver que la victime n’ait littéralement pas le temps d’assimiler les faits avant qu’un nouvel événement de violence se présente.
Elle n’a aucune possibilité de prendre du recul, et tout son être entre en mode de survie.
Cela peut la pousser à la fuite, mais pas forcément.
Dans certains cas, ce n’est que l’aide extérieure qui intervient lors d’un incident qui permet de briser le cycle.

IV. Le cycle de la violence dans sa propre histoire

Nous sommes toutes responsables de nos vies et de nos choix.
En revanche, nous ne sommes jamais responsables de ce que les autres font ou disent.

Prendre la responsabilité des actes commis par les autres engendre la culpabilité.

Pour avancer dans ta démarche de reconstruction, il te faut avoir le courage de regarder ton histoire en face et de faire la part des choses :

Quels sont les choix, les paroles et les actes dont tu es responsable ? Et ceux dont tu ne l’es pas ?

Cette démarche est essentielle pour reprendre le contrôle de ta vie.

S’il est capital d’accepter que nous ayons été victimes de notre agresseur,
il est tout aussi indispensable, pour avancer, de reconnaître nos propres responsabilités.

1- Comment faire le bilan

Je t’invite à examiner ton histoire à la lumière du cycle de la violence.
Il n’est pas nécessaire de passer tous les événements de ton passé au crible, car avec cette grille de lecture tu devrais parvenir assez rapidement à reconnaître comment ce scénario violent en quatre actes se déroulait dans ton couple.

Comme d’habitude, je te suggère de faire ce travail par écrit.

  1. Sélectionne dans ton passé les événements de violence ou les crises qui t’ont le plus marquée, peut être les premiers, ou bien les plus représentatifs.
  2.  Pour chacun, prends une feuille séparée, que tu divises en quatre cases, avec les titres suivants :
  • tension (1)
  • la crise, acte violent (2)
  • justifications, accusations (3)
  • réconciliation ou accalmie (4)

3. Le plus facile est de commencer par l’acte violent, la crise, que tu notes dans la case (2). Réfléchis ensuite en amont, aux circonstances qui ont amené cette crise, que tu notes en (1) et en aval, aux effets immédiats (excuses, promesses, etc) que tu notes en (3).

4. Enfin, réfléchis et note en (4) : Comment votre couple a géré — ou pas — cette crise dans la période d’accalmie : 

Avez-vous, tous les deux, tout passé sous silence ?
As-tu vécu dans l’attente de la réalisation des promesses, qui en n’étant pas tenues ont réengagé la tension ?
As-tu changé ton comportement pour rentrer dans le moule qu’on t’imposait ?
Est-ce que vous vous réconciliez sous la couette ?
Ou bien est-ce que tu profitais de l’accalmie pour faire flamber la carte bleue ?

2- Exploiter ces informations

Les scénarios sont uniques, chaque couple a sa propre dynamique. Décomposer ton histoire avec le modèle du cycle de la violence par écrit et de manière structurée te permet d’identifier la récurrence de scénarios.

La forme des crises est parfois différente, leurs motivations profondes sont souvent les mêmes.

Les découvertes que nous faisons ne sont pas toujours plaisantes, mais, heureusement, rien n’est permanent et nous avons le pouvoir de changer.

a- s’interroger:

Avec ce regard décalé dans le temps, tu peux t’interroger sur certains choix que tu as faits à l’époque :
pourquoi ai-je accepté ses excuses, de quoi avais-je peur en essayant de me conformer à ses attentes, etc. (S’interroger ne veut pas dire culpabiliser, mais essayer de se comprendre.)

Reconnais-tu des failles, des craintes ou des pensées qui ont été activées de manière répétitive lors de ces cycles :

  • la peur d’être abandonnée,
  • la crainte de n’être « pas assez »,
  • la croyance que les autres savent mieux que toi ce qui est bon pour toi, etc. ?

Je t’invite à ne pas rester en plan avec les découvertes que tu fais !
Si dans notre passé nous avons pris les décisions que nous avons prises, c’était avec l’innocence de notre cœur et les informations que nous possédions à ce moment-là… pas avec toutes celles que nous avons maintenant.

Si nous souhaitons évoluer, nous ne pouvons bien sûr pas passer sous silence que nous avons pris des décisions qui n’étaient pas bonnes pour nous (par exemple, accepter ses excuses, se conformer à ses attentes…), quitte à nous renier, et il serait bénéfique de creuser ces découvertes plus en avant.

b- en tirer des bénéfices 

Depuis que j’accompagne des personnes individuellement dans ce travail, je me suis aperçue que je n’étais pas la seule à ne pas savoir reconnaître ni comprendre ce processus du cycle de la violence dans ma vie.
Pourtant, honnêtement, qui concernerait-il si ce n’est pas les personnes comme moi,
qui ont, justement, été victimes de relations abusives ?!

Quand je l’ai identifié, cela m’a beaucoup aidée. Car j’ai compris qu’il y avait des mécanismes reconnus en jeu, que mon mari et moi, dans notre relation dysfonctionnelle, alimentions copieusement.

En disant cela, je ne prends aucunement la responsabilité des actes commis envers moi,
mais uniquement de mes actions : j’ai moi-même choisi ce compagnon, je ne savais pas mettre de limite, je ne me suis pas respectée, je suis restée, etc.

Explorer les fruits de cette analyse est un travail que tu peux faire seule. 

Je recommande cependant d’envisager un accompagnement professionnel si tu t’aperçois que tu stagnes, car il y a énormément à gagner en clarté, en indépendance émotionnelle, en qualité de vie et en bonheur.

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