Que signifie nier les émotions des autres ? Que se passe-t-il dans notre vie et dans nos relations quand nous n’acceptons pas que l’autre interprète un événement différemment de nous, et que nous « censurons », involontairement, son côté de l’histoire ? Quelles sont les conséquences psychologiques quand c’est nous qui, parfois depuis l’enfance, avons subi ce type de comportement ? Comment retrouver son libre arbitre et faire confiance à ses propres émotions, tant de fois bafouées ? Nier l’expérience de l’autre peut être un incident isolé, une sorte de gaffe sociale à laquelle personne n’est exempt. Cependant, quand ce type de comportement devient systématique, nous sommes aux portes de la violence psychologique.
1. Nier les émotions des autres
Levez la main si vous avez déjà pensé d’une personne qu’elle ne réagit pas comme il faut à une situation…
Voilà, toutes les mains sont levées. Nous l’avons toutes fait, à un moment ou un autre. Nous avons parfois dit : « Tu exagères », « Tu te vexes pour un rien », ou même peut-être à un enfant « Mais non, ça fait pas mal. Tu pleures pour un rien. »
Notre vie est une suite d’événements factuels que nous interprétons chacun à notre manière par le filtre de notre pensée. Comme nos pensées sont différentes, nos émotions le sont aussi. Et donc dans le cadre d’une même circonstance, notre expérience, notre vécu est unique :
– L’enfant tombe : pour lui, il a eu peur et il a mal au genou. Pour vous, ce n’est pas grave, vous n’avez pas eu peur et vous savez qu’il faut en passer par des genoux égratignés pour trouver son équilibre, ça vous semble « normal ».
– vous n’êtes pas invitée par votre amie à une soirée : vous vous vexez, vous vous sentez dévalorisée, voire humiliée, peut-être triste. Elle vous dit que vous exagérez et que vous avez tort de le prendre si dramatiquement. Autrement dit, vous ne devriez pas ressentir ce que vous ressentez.
Même si nous comprenons intellectuellement que notre expérience de la vie est différente de celle d’un autre, même s’il est proche, c’est plus difficile à accepter dans la pratique et, surtout, quand sa réaction ne nous arrange pas.
Pourtant notre expérience d’une situation est toujours aussi réelle pour nous que pour l’autre. Qu’est-ce qui nous pousse à la nier ?
2. Le mécanisme qui fait nier les émotions des autres
Quand nous ne reconnaissons pas ou ne comprenons pas la réaction ou l’émotion exprimée par un autre, nous avons tendance par défaut à y résister. Nous jugeons ses émotions ou ses comportements comme inadéquats, plutôt que de nous ouvrir avec curiosité ou bienveillance à leur expérience de vie.
Clotilde Dusoulier, auteure du podcast « Change ma vie » et Mastercoach certifiée de la même école que moi (The Life Coach School) consacre un épisode entier à ce phénomène, dans lequel elle explique très bien les mécanismes en jeu.
Voici les 3 raisons par lesquelles elle explique notre tendance à réagir en niant l’expérience de l’autre :
- Quand quelqu’un exprime une vision ou un ressenti différent des nôtres, il met nos croyances en cause. Notre cerveau ressent la dissonance cognitive d’avoir simultanément la possibilité de deux pensées opposées, la nôtre et celle de l’autre, et donc d’avoir à faire un choix : qui a raison, où est la vérité ? Cette dissonance est très inconfortable pour lui. Son réflexe primitif est toujours de sortir de cet inconfort le plus rapidement possible et donc il préfère nier le problème en bloc plutôt que de remettre en question nos croyances établies.
- De plus, notre cerveau choisit toujours de préférence la solution la plus facile : quelqu’un nous apporte « son » problème, c’est plus facile de le nier ou de nous en détacher « Tu te trompes, cela ne me concerne pas. »
- Car cela nous évite d’envisager notre part de responsabilité dans la situation. Comme nous confondons souvent responsabilité et culpabilité, nous pensons que nous demander en quoi nous contribuons potentiellement à la situation nous la faire apparaître de manière binaire : qui a tort, qui a raison ? Cette vision nous empêche d’être curieuse et ouverte et d’œuvrer à trouver une solution inclusive des expériences de chacun.
3. Quand nier les émotions des autres devient systématique
Comme je l’ai dit plus haut, avoir tendance à ne pas comprendre l’expérience des autres ou à ne pas la prendre en compte est « normal », dans le sens où c’est le le mode de fonctionnement par défaut de notre cerveau. Donc occasionnellement nous avons toutes ce genre de comportement.
Observer quand nous nous replions sur notre jugement, quand nous sommes convaincue que seule notre manière de voir est la bonne, que les autres devraient faire autrement (et surtout, comme nous) est un bon point de départ. Car nous ouvrir à l’expérience des autres est le seul chemin pour gagner en compréhension et en connexion avec ceux qui nous entourent, que ce soit au sein de notre famille, de notre entreprise ou de la société. C’est ainsi que nous pouvons trouver des solutions créatives et augmenter le bien-être dans notre vie et celle des autres, et ceci de manière très concrète.
Malheureusement, il y a des situations dans lesquels nier l’expérience des autres est un mode de fonctionnement systématique, qui a de lourdes conséquences psychologiques.
a) quand nier le vécu de l’autre est systématique et non-intentionnel (c’est-à-dire involontaire)
Bien des gens ont été élevés par des parents qui ont constamment nié ou censuré les émotions, voire les sensations, de leurs enfants. Cela peut commencer par des principes éducatifs rigides qui n’incluent pas la validation des ressentis de l’enfant :
« Tu n’as pas faim, parce que ce n’est pas l’heure de dîner. » « Le dentiste ne t’a pas fait mal (c’est pour ton bien). »
Et continuer par la censure de toute expression émotive : c’est mal, voire puni, d’être en colère, d’être déçue quand on ne reçoit pas ce qu’on voulait parce qu’on devrait être content d’avoir eu quelque chose plutôt que rien), etc.
La première conséquence d’un tel système est que l’enfant n’apprend pas à accueillir et ressentir ses propres émotions. Mais bien plus grave encore, il apprend à s’en méfier en incorporant le message qu’il ne peut pas faire confiance à son interprétation des événements ni à ses ressentis.
Comme il n’est pas en position de partir ou de se révolter (ce qui peut toutefois arriver et se manifeste par des comportements de rébellion), il apprend à se censurer et à déléguer la gestion émotionnelle de sa vie à une personne extérieure, un parent, un conjoint, une figure d’autorité « qui sait mieux qu’elle » ce qu’elle devrait vivre et ressentir en toute circonstance.
Ainsi de nombreuses personnes qui se retrouvent dans une relation toxique à l’âge adulte peuvent identifier les graines semées dans leur enfance.
Notons bien que la plupart des gens qui élèvent ou ont élevé ainsi leurs enfants ne l’ont pas fait avec l’intention de leur nuire et sont persuadés d’avoir parfaitement rempli leur rôle éducatif. En cela, la maltraitance psychologique qu’ils sont infligée à leur enfant est involontaire, mais cela n’en minimise pas les conséquences.
Je donne en dernière partie de cet article des pistes pour trouver sa propre valeur et la sérénité quand on a vécu une telle situation durant son enfance ou qu’on y est confronté aujourd’hui.
b) quand nier le vécu de l’autre est systématique et intentionnel, nous avons affaire au « gaslighting ».
Le gaslighting est une technique de manipulation à laquelle quelqu’un peut être confronté, particulièrement dans le couple ou dans son milieu professionnel, mais pas exclusivement. (Il peut notamment être les bases d’un système politique ou sectaire). J’ai publié l’article en français le plus complet (3 parties) sur le thème du gaslighting.
4. Avancer quand quelqu’un nie votre expérience
Beaucoup ont pris l’habitude de remettre en cause nos propres ressentis, nos émotions et notre interprétation de la réalité parce que c’est le mode fonctionnement que nous avons intégré dans notre enfance. Mais nous pouvons changer cela et ne plus être victimes des choix que les autres font pour nous. Nous pouvons développer les mécanismes pour reprendre la responsabilité totale de nos émotions.
Apprendre à avoir confiance dans nos opinions et nos émotions.
- La première étape est d’apprendre à bien se connecter à ses propres émotions : qu’est-ce que je ressens dans telle situation ? Que se passe-t-il dans mon corps ? Qu’est-ce que ça m’indique : malaise, soulagement, crispation, ouverture ? Pour explorer ce volet, lire mes articles sur la gestion des émotions.
- Ensuite, il est essentiel de comprendre que nous créons nous-mêmes notre propre réalité, par le biais de nos pensées. Nous pouvons donc apprendre à observer les situations où nous « laissons » les autres dicter comment nous sentir et choisir les pensées qui nous sont permettront de nous émanciper de leur influence. Cliquer ici pour voir comment le modèle de Brooke est un outil simple qui vous permettra de décrypter vos fonctionnements actuels et de les remplacer par d’autres, plus appropriés à l’indépendance émotionnelle que vous voulez créer dans votre vie.
- Si vous êtes dans un contexte dans lequel vous êtes constamment face à quelqu’un qui nie votre expérience, ces deux premières étapes vous aideront à retrouver un certain équilibre émotionnel, certes. Il est cependant fort possible que cette démarche vous amène à avoir à poser des limites et/ou remettre en question la relation elle-même.
- Si vous éprouvez des difficultés à mettre en place ce type de travail personnel et les changements qu’il implique, ou à les installer de manière durable, vous pouvez vous faire accompagner.
5. Être en paix avec ceux qui nient votre vécu
Ironiquement, quand nous comprenons que nous avons/sommes victimes de quelqu’un qui nie nos émotions, la première réaction de notre cerveau serait… de leur rendre la pareille. Nous ne pouvons pas comprendre ni accepter qu’ils ne comprennent pas ce que nous avons vécu ou subissons encore. C’est bien sûr un cercle vicieux… dont nous pouvons sortir !
1) La première étape c’est de vraiment intégrer que nous sommes à tout moment 100 % responsable des pensées que nous pensons AUJOURD’HUI et donc des émotions et de l’expérience de vie que nous créons MAINTENANT. Savoir d’où viennent les comportements que nous avons appris peut être une explication, mais pas une excuse ou une raison de nous déresponsabiliser de notre vie. Ce n’est pas parce qu’un parent nous a interdit d’être triste, déçue ou en colère il y a 20 ou 35 ans que nous devons choisir cette censure aujourd’hui.
2) La seconde étape est de relire la partie (2) pour nous rappeler qu’eux aussi sont humains et que leur cerveau fonctionne aussi par défaut. Ils n’avaient pas les outils que nous avons à notre disposition pour comprendre leur comportement et son impact. Dans la plupart des cas, ils ne souhaitent pas changer leur mode de fonctionnement, à cause de ces mêmes raisons. Et c’est ok. Ils n’ont pas besoin de changer pour que nous, nous puissions créer une nouvelle expérience de vie pour nous.
3) Enfin la dernière, c’est de comprendre que nous pouvons créer de manière unilatérale la relation que nous voulons avec ces personnes. Nous pouvons choisir de penser, de ressentir et d’agir comme nous voulons.
Nous pouvons être dans le ressentiment et les voir régulièrement.
Nous pouvons être dans la paix et passer des vacances ensemble.
Nous pouvons être dans la haine et couper les ponts.
Nous pouvons être dans l’amour et ne pas les voir.
Tout est possible et tout peut évoluer. À chacun de choisir la solution qui lui convient le mieux, de manière délibérée.
Nous sommes à chaque instant libres d’observer nos pensées et de choisir nos comportements, pour nous affirmer dans notre vie, sans nier celle des autres.